Au cours du mois de décembre 2020, j'ai eu l'occasion d'accompagner le député Bruno Salmon au CRA (Centre de Rétention Administrative) de Saint-Jacques-de-la-Lande, situé à proximité de Rennes, afin de photographier les conditions dans lesquelles les personnes y sont retenues. Les députés et sénateurs ont la possibilité de visiter les lieux de privation de liberté, sans préavis, afin de pouvoir constater les conditions de détention des personnes retenues.
Le rapport 2020 de la Cimade sur les centres et locaux de rétention administrative est disponible à cette adresse, en voici un extrait :
« De la mi-mars au début de l’été 2020, si le nombre de CRA en fonctionnement et de places utilisées a été revu à la baisse, l’administration a continué de prononcer des mesures de placement alors même que les mesures sanitaires étaient notoirement insuffisantes. Dans ces lieux caractérisés par la promiscuité, avec des durées d’enfermement pouvant atteindre 90 jours, des manquements graves, en décalage avec les précautions prises au niveau national, ont été constatées : absence ou insuffisance de masques, de gel hydro alcoolique et d’autres mesures permettant de respecter les gestes barrières.
Dans ce contexte présentant un risque élevé de contamination, des personnes atteintes de pathologies pouvant conduire à des formes graves de COVID-19 ont néanmoins été enfermées. D’autres, atteintes de pathologies psychiatriques, ont connu le même sort alors que la rétention était encore plus anxiogène qu’à l’accoutumée. Des passages à l’acte, telles que des automutilations ou des tentatives de suicide, se sont multipliés. Tout au long de l’année des milliers de personnes ont été privées de liberté alors que les possibilités de les éloigner étaient réduites à néant. La rétention étant légalement subordonnée à l’existence de perspectives raisonnables d’éloignement, elle devenait abusive dans ce contexte de fermeture des frontières.
L’année 2020 a également été marquée par la forte hausse du nombre de placements en rétention de personnes qui sortaient de prison, représentant plus d’une personne sur quatre (26,5 %). Déjà observée en 2019, cette tendance s’est renforcée et témoigne d’un recours à la rétention pour d’autres finalités que l’éloignement du territoire français. C’est ainsi que lors du premier confinement, alors que le nombre de placements se réduisait et que les juges judiciaires décidaient de nombreuses mises en liberté, les personnes ayant achevé de purger leur peine en prison atteignaient jusqu’à 70 % de la population en rétention. Le ministre de l’Intérieur a déclaré assumer ce paradoxe, indiquant à la Commission des lois du Sénat ne pas souhaiter « fermer les CRA, parce que 80 % des personnes retenues actuellement sont des sortants de prison. Si nous fermions les centres, ces personnes seraient de fait remises en liberté [...] ce qui ne serait pas acceptable ». Ces personnes avaient pourtant purgé leur peine et la rétention devenait infondée dès lors que leur éloignement était impossible.
Enfin, la crise sanitaire a accéléré l’usage de la visio-audience pour les jugements. Dans la précipitation du confinement, ce recours s’est réalisé hors de tout cadre légal clair. Les audiences ont ainsi été parfois réalisées dans des locaux n’appartenant pas au ministère de la Justice et dans l’enceinte des CRA. Certaines se sont déroulées exclusivement par téléphones. De façon générale, ces moyens interrogent quant aux conditions dans lesquelles les personnes retenues ont tenté de faire valoir leurs droits. Leurs échanges avec les juges ne se font pas sans difficultés, tandis que les avocats sont contraints de choisir d’être physiquement présents auprès des magistrats ou des personnes enfermées.
En fin de compte, la gestion de la crise sanitaire dans les CRA a été à l’origine de nombreux recours abusifs à la rétention et à des violations répétées des droits fondamentaux des personnes concernées. »